La neige recouvre les objets d’une couche qui les uniformise. Les couleurs disparaissent, les formes s’adoucissent. Elles se fondent dans un tout monochrome qui réduit le monde à un dessin. Les bruits sont étouffés. Les identités se dissolvent. Les voitures n’ont plus de marque, ce sont des formes simplifiées. Emmitouflés, les passants sont anonymes. Un arbre est un arbre et non cet arbre. Il n’y a plus de détails, plus d’histoires. C’est la fin des distinctions. La neige est démocratique. Le monde est enfin lisible, comme une collection de formes abstraites.
La neige est rare.
Sous la neige, la lumière est diffuse. Il n’y a pas d’ombres. La neige produit la régularité.
La neige ne dure pas. Sa brièveté contient l’annonce de sa disparition. Sa couleur est celle des chairs mortes. Elle congèle et ralentit la vie. Le monde, devenu temporairement un mort vivant, m’est soudain plus familier. Je suis plus vivant entouré de mort que dans l’étouffant été où la vie prolifère.
Je préfère la neige à la campagne que dans une ville. Un phénomène naturel a sa place dans la nature. Dans une ville, la neige est sale et fond vite. Elle a moins de prise sur les objets urbains, verticaux, que dans la campagne, horizontale. Un pré lui convient mieux qu’une façade d’immeuble.
La neige m’apaise. Le monde est simple : les couleurs disparaissent, les formes s’adoucissent, les mouvements ralentissent, les bruits s’étouffent. Dehors, il y a moins de gens, moins de voitures, moins de lumière, moins de mouvement, moins de passage. Le paysage devient un désert, un arrêt sur image, une statue, un ralenti.
La neige craque sous mes chaussures. Par son bruit, chaque pas existe plus.
Dans le froid qui accompagne la neige, mes poumons existent plus, ma trachée artère existe plus, la peau de mon visage existe plus, mes doigts refroidis existent plus. Dehors, pour exister normalement, mon corps se dépense plus. Ma gymnastique matinale devient superflue.
Quand il neige, la nature accomplit poliment son programme saisonnier. Ni déception ni trahison.
Neige fond : trahison.