Catégorie : Minutes de la multitude

Minutes de la multitude #51

Myope, sans lunettes, je ne vois que les taches claires des masques, flocons, pétales.

Dans un autre train, similaire, je n’ai rien à écrire. Pas de répétition faisant du temps mémoire. Comme dans le livre de l’enfant, ce n’est pas mon train.

Assis, un avant-bras vertical, la main posé sur le crâne, le coude touché par l’autre bras horizontal. Les yeux se ferment, le bras empoigne la barre de soutien verticale. Il est labyrinthe à lui-même.

Minutes de la multitude #50

Pas de rendez-vous, ni d’obligation, aujourd’hui. Voyage à vide. Vide en moi.

Les yeux brillent, noirs. L’enfance est un état. Il regarde les voyageurs, passe de l’un à l’autre. Il est ici. La tête s’appuie sur l’épaule du père. Les paupières s’abaissent puis se soulèvent avant que l’œil ne soit complètement clos.

Tunnel, accélération, tremblement, pensée du fracas final, un instant, point, puis ralentissement brusque. Arrêt : Euclide.

Minutes de la multitude #49

Regarde chacun comme si le temps était sur le point de finir.

L’eau qui entre après qu’il ait plu sur les dalles, les plaques, les tubes, les fils, les panneaux, la parpaings, les rails, les pierres du ballast, le mâchefer, les yeux.

L’accélération comme appétit, désir, allégresse, mais rien n’est hors de toi.

Minutes de la multitude #48

Le profil dissimulé par l’arrondi des cheveux. Visage d’un trait. Sombre. Luisant dans la lumière faible du matin.

Écran de ma faute.

Pendant que je n’écris pas, elle crochète avec de la laine couleur fuchsia.

Minutes de la multitude #47

Le vent gris. Plus de ciel. Un plafond descend. La fuite est horizontale. Elle est vaine.

Ce qui pèse, c’est le temps. Il n’y a plus que du décor. La sonnerie annonçant la fermetures des portes est le réel.

Traversée de branches. Illusion de l’ailleurs, de l’enfer, quand il n’y a que l’aujourd’hui.

Minutes de la multitude #46

On dit voiture, les wagons transportent les marchandises et les bêtes, disait le père.

Sporgersi è pericoloso disait le père, la seule phrase de la langue où je vis qu’il connaissait.

Je répète le mot voiture, je parle du père au passé : terme.

Minutes de la multitude #45

Voiture vide, tu montes le premier, le strapontin déplié t’appelle.

Le printemps et la voiture identiques et le temps passant pour toi.

Redressant le dos, relevant les yeux de la page lumineuse, des visages et leurs corps que je n’ai pas vu arriver remplissent la voiture. Combien d’humain ?

Minutes de la multitude #44

Convoi d’immobilités. Les arrêts prolongés, répétés. Les voitures serrées avançant au pas sur la route parallèle. Les passagers figés dans le sommeil ou le regard à l’écran.

Le familier vire a l’étrange. Les choses vibrent et vacillent. Les couleurs sont rehaussées de jaune, acculées à la lumière. Mais c’est moi qui suis sur le point de m’effondrer.

Tu descends au terminus. Les rails finissent. La gare est à flanc de colline. Tu es vomi sur le bord de la ville.

Minutes de la multitude #43

Un visage : l’aigreur. Un autre : la stupidité. Ton regard à adoucir et aiguiser.

Buée aux vitres. Un dehors réduit et éloigné. Rester tapi sur le siège somnolent. Passer sans mouvement.

Tu crois bouger. Tu crois bouger. Tu répètes la phrase sans t’en rendre compte. Tu crois écrire.

Minutes de la multitude #42

C’est dans la nuit que le train est le plus rapide.

La bouteille vide roule d’une paroi à l’autre. Elle est arrêtée par mon sac. Cela, je l’ai déjà écrit. J’ai peut-être déjà tout écrit de ce qu’il m’étais donne d’écrire. Il n’y aurait plus qu’à recommencer : chanson.

La poignée sur la paroi. Pour la première fois, je la vois verte. Je me lève dans le train désert, je m’approche. Les autres sont grises. Pourquoi cette anomalie? négligence? défi? Le roman est là.